C’est une grande joie pour nous les frères de vous voir réunis si nombreux cette semaine. Déjà au cours des deux semaines passées, les Français sont venus nombreux sur la colline, mais avant, durant l’hiver, les pèlerins étaient peu nombreux. Certaines semaines, les volontaires étaient même plus nombreux que les jeunes visiteurs. Et maintenant, vous êtes 2000 à être venus du Portugal et d’autres encore d’ailleurs.
Demain, débutera le temps du Carême. Ce qui vient d’abord à mon esprit quand je pense à ces quarante jours de chemin vers Pâques, c’est l’image du désert, celui dans lequel Jésus a passé quarante jours de solitude, ou celui qu’a traversé le peuple de Dieu en y marchant quarante ans.
Frère Roger, qui a initié la vie de notre communauté à Taizé, aimait rappeler, quand revenaient ces semaines précédant Pâques, que ce n’était pas un temps d’austérité ou de tristesse, ni une période pour entretenir la culpabilité, mais un moment pour chanter la joie du pardon. Il voyait le Carême comme quarante jours pour se préparer à redécouvrir de petits printemps dans nos existences.
Au début de l’Évangile de saint Marc, Jésus appelle ceux qui l’écoutent à une conversion : « Tournez-vous vers Dieu et croyez à l’Évangile ». Oui, pendant le Carême, nous voudrions nous tourner vers Dieu pour accueillir son pardon.
Par son constant pardon, Dieu nous permet de renouveler une vie intérieure. C’est à une conversion que nous sommes invités : non pas nous tourner vers nous-mêmes dans une introspection, mais chercher une communion avec Dieu et aussi une communion avec les autres.
Et la conversion à laquelle nous sommes invités concerne aussi le lien qui nous unit à toute la création. L’émerveillement devant la création nous conduit à un comportement plus respectueux à l’égard de notre environnement.
Le temps du Carême est celui du renoncement, de la simplification. Non que l’ascèse ait une valeur en elle-même, mais simplifier notre mode de vie peut nous aider à découvrir notre attente la plus profonde, notre soif de l’essentiel. Vous en faites l’expérience cette semaine. Vous vivez très simplement, avec peu de choses matérielles, et pourtant il y a une joie, et vous découvrez que le silence peut faire du bien.
Ainsi vous pouvez approfondir la foi, qui est une confiance toute simple. Comme croyants nous ne suivons pas un idéal, nous suivons une personne, le Christ. Nous ne sommes pas seuls, lui nous précède. Le suivre suppose un combat intérieur, avec des décisions à prendre, des fidélités de toute une vie.
Dans ce combat, nous ne nous appuyons pas sur nos propres forces mais nous nous abandonnons à sa présence. Le sentier n’est pas tracé à l’avance, il implique aussi d’accueillir des surprises, de créer avec l’inattendu.
Et Dieu ne se fatigue pas de reprendre le chemin avec nous. Nous pouvons croire qu’une communion avec lui est possible et ne jamais nous fatiguer, nous non plus, d’avoir toujours à reprendre le combat. Nous n’y persévérons pas pour nous présenter à Dieu sous notre plus beau jour. Non, nous acceptons d’avancer comme des pauvres de l’Évangile qui se confient en la miséricorde de Dieu.
Le Carême est aussi un temps qui nous invite au partage. Alors qu’il était une autre fois au désert, Jésus, ému de compassion pour ceux qui l’avaient suivi, multiplie cinq pains et deux poissons pour nourrir chacun. Quels signes de partage accomplir nous aussi ?
Demain, nous aurons deux signes dans la prière commune pour marquer cette entrée en Carême. Le premier signe est celui des cendres. Au cours de la prière du matin, les frères feront une croix avec des cendres sur le front de tous ceux qui le souhaitent. En apposant les cendres, les frères diront à chacun : « Tourne-toi vers Dieu et fais confiance à l’Évangile. » C’est un geste très ancien, qui nous appelle à l’humilité.
Le deuxième signe est un geste liturgique qui nous vient de la tradition orthodoxe. Au cours de la prière du soir, ceux qui le souhaitent pourront recevoir une onction d’huile sur le front. En traçant le signe de la croix, les frères diront à chacun : « Voici l’onction de guérison, l’onction de fête ».
Les cendres et l’huile que nous recevrons demain sont deux symboles qui nous invitent au pardon et à la fête. Puisse ce Carême être un temps de joie pour chacune et chacun de nous. La joie du pardon, la joie de la réconciliation.
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