C’est une grande joie d’être si nombreux pour célébrer la fête de Pâques. Nous allumerons le feu pascal demain matin à 6h15 dans le jardin qui donne sur la source. Puis à 10h nous célébrerons l’eucharistie. Quelques femmes, en mémoire de celles qui ont annoncé aux apôtres que Jésus était ressuscité, vont apporter le feu pascal à l’église.
Mais comment entrer dans la joie de Pâques quand chaque jour nous viennent des nouvelles d’intolérables souffrances de femmes, d’hommes et d’enfants en Ukraine ? La guerre déclenchée contre le peuple de ce pays, la violence inouïe, nous révoltent tous. Nous nous rappelons aussi les guerres et les violences ailleurs dans le monde. Et nous ne pouvons pas oublier toutes les conséquences de la pandémie et les périls écologiques. Tout cela pèse lourdement sur nous tous.
Je voudrais partager avec vous ce que Yulia, une jeune femme de l’Ukraine, nous a écrit au début de l’invasion : « Je suis maintenant à Lviv, en sécurité, contrairement à des millions d’autres Ukrainiens. » Puis elle s’interroge : « Comment ne pas laisser la haine monter dans mon cœur lorsque je vois la photo de parents qui viennent de perdre leur enfant de 18 mois, blessé par un fragment de missile russe ? » « Comment voir dans l’auteur de ce crime d’abord la personne humaine et non pas le meurtrier ? »
J’ai dû lui répondre que je n’avais pas vraiment de réponse à ces questions, mais que le fait qu’elle les pose témoignait d’une ouverture à une espérance. Et je l’ai assurée que je partagerais ses questions avec vous ici et que nous les porterions dans notre prière.
Pourquoi le mal ? Cette question creuse comme un vide en nous. Nous la crions dans la prière, mais Dieu semble trop souvent rester silencieux.
Notre foi chrétienne ne nous donne pas de réponse facile au pourquoi de la souffrance. Mais si nous sommes ensemble aujourd’hui, c’est que nous croyons que notre foi peut nous aider à vivre avec cette question sans perdre l’espérance.
Nous sommes comme plongés dans un samedi saint qui perdure. Le samedi saint : ce jour du silence de Dieu, entre la mort de Jésus sur la croix et le matin de sa résurrection. Jésus est mort avec ce cri « Mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ? » Lui qui n’avait rien fait de mal, qui n’était qu’amour, il est entré dans les ténèbres les plus profondes de l’humanité : l’exclusion, la torture, la haine et finalement la mort violente.
Le samedi saint nous rappelle ce mystère : le Christ, l’envoyé de Dieu, a lutté pour porter l’amour de Dieu là où régnait la mort. Les premiers chrétiens l’ont exprimé par ces mots : Il est descendu en enfer. Les chrétiens d’Orient ont tout particulièrement développé cette pensée dans leur liturgie et par les icônes.
Nous plaçons ce soir l’icône de la descente aux enfers au milieu de l’église. Elle montre comment le Christ descend vers ceux qui sont morts. Mais son mouvement de descente est en même temps une montée, il brise les portes de l’enfer et libère tous les captifs. Il était vraiment mort, mais il se lève de parmi les morts et avec force il les prend avec lui. La mort a perdu son pouvoir, elle n’a plus le dernier mot. C’est pourquoi on appelle cette icône « l’Anastasis », « la Résurrection ».
Ce mystère, nous ne pouvons l’exprimer qu’avec des images, notre langage humain n’y arrive pas autrement. Le Christ vit. Invisible à nos yeux, il peut accompagner chaque être humain. Il n’abandonne pas ceux qui souffrent, il leur rendra justice, même au-delà de la mort. Notre espérance chrétienne n’est pas le vague rêve d’une belle vie qui ne finit pas, mais une espérance de justice pour tous. Et cette espérance peut déjà marquer notre existence de chaque jour.
Demain, au cours de la célébration pascale, nous serons les témoins d’un signe de cette espérance dans le Christ ressuscité. Notre frère Bernat va s’engager pour toute sa vie dans notre communauté. Il le fera, comme le dit la règle de notre communauté, « à cause du Christ et de l’Évangile ».
C’est seulement à cause d’une espérance dans le Christ, à cause d’une confiance placée en Dieu, qu’on peut dire ainsi un oui pour toujours.
Bernat vient de la Catalogne et sa famille est présente ici pour participer à son engagement. Ce n’est pas la première fois que ses parents sont à Taizé, ils venaient déjà avec Bernat, ainsi qu’avec son frère et sa sœur, quand il était encore tout jeune, à 13 ans.
La célébration de la résurrection du Christ, et la joie qu’elle fait naître en nous, ne nous éloignent pas de la souffrance du monde. Tout au contraire, elles nous rendent plus aptes à faire face aux épreuves de la vie, les nôtres et celles des autres. Oui, le Christ ressuscité nous envoie pour que nous montrions par notre vie qu’il y a une espérance au-delà de tout espoir humain.
Alors, demain après l’eucharistie, nous pourrons nous saluer mutuellement avec ces paroles : « Le Christ est ressuscité », et répondre : « Il est vraiment ressuscité. »