Un vendredi d’hivernage (c’est l’été, la saison des pluies) la cour de la maison des frères est pleine d’enfants, de jeunes avec aussi des mamans et quelques vieux du quartier. Assis au centre, deux griots, l’un avec un kora, une harpe traditionnelle à 22 cordes qui résonnent sur une grosse calebasse, l’autre avec un balafon, sorte de xylophone sous lequel sont suspendues de petites calebasses qui enrichissent la sonorité.
Des griots ? En Afrique de l’Ouest, ce sont les maîtres de l’oralité, à la fois conteurs, musiciens, mémoires vivantes. Autrefois, ils étaient attachés aux chefferies aux cours locales pour célébrer les exploits des ancêtres et des dignitaires régnants, pour raconter l’histoire et les histoires interminables, flatteurs, brodant et rebrodant sur la réalité, à la fois bouffons et historiographes, ils sont restés jusqu’à aujourd’hui les détenteurs de la poésie de leur groupe linguistique.
C’est une affaire de quelques familles, le don de transmettre de génération en génération. Ils forment une caste comme les forgerons, les potiers ou les bûcherons, à la fois séparés et redoutés.
Aujourd’hui ils sont surtout invités pour animer les fêtes, les mariages et, au fur et à mesure de leur récital, les admirateurs viennent coller des billets de banque sur leur front en sueur.
L’autre vendredi, ils ont parlé de leur « vocation », de leur apprentissage initiatique, il y avait ans leur récit beaucoup d’allusions érotiques, des histoires de djinns et d’esprits, tout un univers traditionnel dans lequel ils baignent.
Surtout ils ont conquis l’assistance par la musique et le chant. Le joueur de kora compose lui-même paroles et musique et le sommet de la rencontre était la complainte déchirante que lui a inspiré l’annonce au retour d’une tournée en Europe de la mort de sa mère.