« Vous avez de la chance, la neige est arrivée à temps pour vous accueillir. Tout est propre et lumineux, pour nous, la première neige, c’est toujours une joie ! » Après deux heures d’embouteillages je retrouve à Chtchoukinskaya l’hospitalité d’Olga, Micha et Katia. Dans leur quartier, les immeubles des années 1960, encore fiers derrière leur rideau de bouleaux, sont peu à peu détruits et remplacés par d’immenses constructions de quarante étages, lourds vacherins, avec créneaux, pignons, flèches, et façades roses, bleues, vertes... A la sortie du métro, les étals où les maraîchers locaux et les vendeurs caucasiens proposaient fruits et légumes ont disparu. Deux supermarchés et un centre commercial s’affichent en immenses lettres lumineuses. Escalators et couloirs de marbre conduisent à de somptueuses boutiques.
Immobilier, autoroutes, tours du centre d’affaire, partout les constructions attestent d’un dynamisme soutenu. Dans le métro, les publicités pour les crédits bancaires, les placements financiers et des vacances « de rêves » reflètent les dernières préoccupations d’une couche plus aisée de la population. Mais cela reste une minorité privilégiée. On résume avec humour la situation économique : « Tout ce qu’on nous avait appris sur le communisme était faux mais tout ce qu’on nous avait dit du capitalisme était vrai ! »
Rencontre avec une quarantaine de jeunes adultes dans le local d’un club d’adolescents près de la gare de Biélorussie. Ils ont proposé le thème de la réflexion : « Comment vivre chaque jour avec un coeur ouvert ? »
« ’’Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu’’ en quoi cette joie nous est-elle donnée ? » C’est la question pour un partage autour de la rencontre du Ressuscité avec Thomas. Thé à la cuisine puis petits groupes d’échange, mise en commun et à nouveau thé... Quinze jeunes pour une réflexion et un partage chez une famille : dans un appartement, l’échange est plus naturel, la formule semble prometteuse.
Quatre heures de vol entre Moscou et Novosibirsk sous la lune : forêts, champs enneigés, rivières gelées. En comptant les trois heures de décalage, à l’arrivée il est déjà six heures. Genady et Oleg nous attendent par moins 10°C. « A cause du réchauffement global de la planète, les hivers deviennent plus doux depuis quelques années. Il fait encore chaud pour la saison ! »
Avec son million et demi d’habitants, Novosibirsk est la troisième ville de Russie et une sorte de capitale de la Sibérie. Fondée il y a 120 ans au croisement du Transsibérien et du fleuve Ob. L’évacuation des civils et le transfert de la production pendant la deuxième guerre mondiale ont accéléré son développement.
C’est l’élan et le courage des pionniers qui animent les habitants dans ces contrées. « Nous sommes le Sud Ouest de la Sibérie, à la même latitude que Moscou, mais à cause de la dureté de la vie et du climat continental nous sommes classifiés comme zone Nord ». Les hivers sont longs et durs, les transports difficiles, il y a bien d’immense serres chauffées grâce au charbon mais les gens vivent surtout de salaisons de cornichons, de choux et des pommes de terre de leur potager. Les pensions des retraités sont minimes ».
La vitalité de l’Église témoigne de la force de la foi de ceux qui ont recommencé à partir de zéro : construction mais aussi formation, édition, médias, accompagnement des adolescents, des malades, des prisonniers, des militaires. L’orthodoxie, en particulier par la liturgie, par ses fêtes, par sa vénération de la grande tradition et par ses coutumes populaires, mais aussi par le sens qu’elle accorde à la hiérarchie et à l’obéissance, permet de se forger une vision du monde et de s’orienter. C’est l’écrin de la vie du coeur : la mémoire des Saints réanime un sens du podvig, le défi à relever, qui permet de se dépasser et réclame jusqu’au sacrifice. L’engagement dans leur ministère des prêtres et de leurs épouses illustre souvent cela. Mais il y a chez beaucoup une grande générosité et aussi l’espérance que la vie a un sens même dans le malheur, cela nourrit la patience et la liberté intérieure.
A Saint Pétersbourg une rencontre originale réunit des professeurs de lycée ayant accompagné des groupes à Taizé et quelques prêtres : le père Arkady, responsable pour la jeunesse du diocèse et aumônier des étudiants de la faculté de pédagogie, les pères Alexandre et Dimitri de la paroisse de l’icône de la Vierge Féodorovsakaya où ils ont lancé pour la deuxième fois une adaptation des cours alpha, le protodiacre Serge de la Trinité, physicien de formation, raconte qu’il doit sa vocation à sa rencontre avec frère Roger au début des années 1990...
Extraits de l’échange : « Quelles difficultés et quelles espérances dans votre travail avec les jeunes aujourd’hui ? »
« Une étude récente montre que la religiosité augmente en Russie. Il y a vingt ans, 6% des jeunes se déclaraient croyants, maintenant ils sont 60%. Mais sommes-nous prêts à les accueillir. Cette religiosité vient de l’intérieur, elle est en contradiction avec la tendance qui veut que plus une société devient riche plus elle se sécularise. Les jeunes attendent et ont soif qu’on leur parle de la foi et de la prière. »
« A Taizé tout a commencé par une personne qui s’est engagée. Chez nous on a commencé à nous rendre des bâtiments. ’’Vous voulez récupérer ce monastère, allez-y !’’ Qui se présentait pour y habiter et y travailler ? Des clochards et des drogués ! Il nous faut des personnalités résolues ».
« Il faut aller à la rencontre des gens. C’est ainsi que s’est développé le club Tchaïka au monastère de St Jean de Kronstadt ».
L’hiver russe semble figer la nature : la neige enveloppe champs, forêts, lacs et rivières gelés, parfois il y en a tellement que les petites maisons disparaissent presque. Un grand silence recouvre tout. Pourtant la vie continue. Sous leur croûte balayée par les vents les fleuves poursuivent leur cours, les pêcheurs percent la glace, plongent leur lignes des heures durant, assis sur une caisse le dos au vent. Les mésanges et les pies recherchent leur pitance autour des maisons. Jusqu’à moins 30°C, les enfants continuent d’aller à l’école, sur les chantiers on coule le béton, on soude les canalisations. Quand les circonstances semblent résister au développement de relations entre les chrétiens de diverses traditions, c’est sous l’apparence des réserves et de la prudence qu’il faut chercher les indices d’une fraternité vivante. N’est-il pas toujours possible d’offrir une présence attentive et reconnaissante ? Dans le regard de nos hôtes étonnés nous lisions souvent l’interrogation : « Des frères d’occident ! Y a-t-il encore des croyant là-bas ? Pourquoi ont-ils fait un si long voyage ? » L’heure n’est pas aux débats d’idées ni aux grands projets, mais les longues liturgies, les tables partagées, les heures de transport sont des possibilités concrètes de donner la priorité aux personnes et à l’oeuvre de Dieu en elles. Répéter notre gratitude pour le courage, l’élan, le don de soi, l’engagement au service de Dieu et des communautés ouvre un chemin.