Chaque été depuis la fin du régime communiste, des milliers de jeunes Roumains se sont succédé à Taizé pour y vivre une semaine de rencontres.
La venue de tant de jeunes d’un pays majoritairement orthodoxe apporte une richesse particulière aux rencontres de Taizé. Les Roumains sont les seuls orthodoxes qui parlent une langue romane. Ils estiment qu’ils ont la responsabilité d’être un « pont » entre l’Est et l’Ouest.
La Roumanie d’aujourd’hui est composée de trois grandes provinces historiques.
Les frères ont pu aller dans trois villes, une dans chaque province, et l’on a pu entendre frère Alois dire : « J’ai l’impression d’avoir été, non dans un seul, mais dans trois pays ! »
Bucarest
La capitale de la Roumanie est située dans le sud du pays ou Valachie, comme on l’appelle parfois (elle est simplement appelée « Campagne roumaine » en roumain). Le nom en langue roumaine (Bucureşti) signifie « Cité de la Joie », nommée ainsi d’après un berger, fondateur légendaire de la ville. C’est une ville très animée. La Roumanie a actuellement en Europe la plus forte progression du nombre de voitures, même si à Bucarest, les gens disent que le problème n’est pas tant la quantité de voitures que le manque de routes ! Mais la ville a survécu à la tentative d’en faire une vitrine du communisme.
Même avec l’arrivée foudroyante de la culture sécularisée de l’ouest, un grand respect pour l’Église demeure, comme on le voit quand des gens s’arrêtent pour vénérer l’église devant laquelle ils passent. Frère Alois a repris ce thème pour l’une de ses méditations au cours de la visite :
« Nous devons faire face aujourd’hui à un grand défi. La modernité accélère le rythme de vie, modifie profondément la société et les comportements. Les nouvelles possibilités qu’elle comporte sont extraordinaires. Il ne s’agit pas de nous y refuser. Mais un enracinement plus profond de notre personne est indispensable pour que le progrès technique et économique aille de pair avec plus d’humanité. Où plongeons-nous nos racines ? De quelle source vivons-nous ? Ici nous sommes réunis pour aller à cette source. Elle est dans une communion personnelle avec le Christ Jésus, dans la confiance en son amour. »
De nombreux monastères et églises historiques ont été détruits lors du réaménagement de la ville dans les années 1980, mais il reste beaucoup de belles petites églises. On en a sauvé certaines en les déplaçant sur des rails sur environ 500 m, hors du chemin des bulldozers qui préparaient les terrains pour la construction des « Blocks » (grands immeubles) et de la monstrueuse « Maison du Peuple » devenue aujourd’hui Palais du Parlement. Bucarest est le siège du patriarche de l’Église orthodoxe roumaine. Le patriarche Daniel, nouvellement élu, a visité Taizé quand il était jeune et enseignait en Suisse. Pendant sa visite, frère Alois a été chaleureusement accueilli par le Patriarcat de même que par l’archevêque catholique romain.
Frère Roger a pu faire une brève visite à Bucarest en janvier 1990, où il a rencontré le Père Galeriu et le Père Stăniloae, deux prêtres orthodoxes qui ont résisté à la dictature durant de longues années. Cette année, les frères ont pu retourner dans l’église du Père Galeriu, Saint Sylvestre, pour la célébration des vêpres orthodoxes qui a rassemblé des jeunes de toute la ville et au-delà.
On avait le sentiment que cette visite avait été préparée par de nombreuses personnes sur plusieurs décennies. Le P. Bordasiu, prêtre actuel de la paroisse Saint Sylvestre, avait commencé à envoyer des groupes de Bucarest à Taizé en 1990. Il se souvenait des visites que frère Grégoire faisait déjà dans les années 1970. À cette époque, c’était dangereux et ils avaient dû veiller à ce que leur récit de ce qu’il faisait concorde pour la police. Un prêtre âgé au Patriarcat nous a raconté sa rencontre avec deux frères de Taizé, par hasard dans la rue, quand il était étudiant au début des années 1980. Ils étaient un peu perdus, à la recherche d’un monastère qu’ils voulaient visiter. Il leur a montré le chemin et, en le quittant, ils lui ont donné une croix colombe de Taizé qu’il a conservée jusqu’à aujourd’hui.
Iaşi
Iaşi est la principale ville roumaine de Moldavie (Moldova en roumain). Environ la moitié de la Moldavie historique est à présent en Roumanie, l’autre moitié forme la République de Moldavie, avec quelques territoires en Ukraine. C’est un beau pays, dont les habitants sont amicaux et détendus. La Moldavie a toujours été le cœur spirituel du peuple roumain. Des centaines de milliers de personnes vont à Iaşi chaque année en octobre pour le pèlerinage de la Sainte Parascève. Les monastères médiévaux peints de la région sont célèbres dans le monde entier. Ils ont une unité de style gothique et byzantin, qui souligne que c’est là que l’Orient rencontre l’Occident, et que ces deux parties de l’Église sont inséparables. Les moines et les moniales ont gardé la foi vivante à travers les temps de persécution, et aujourd’hui, les monastères sont une fois de plus pleins de vie.
Les frères ont été très chaleureusement accueillis à Iaşi par l’évêque catholique, le nouveau métropolite orthodoxe n’étant pas encore arrivé dans la ville. Une veillée de prière animée par les jeunes du diocèse s’est tenue dans la cathédrale. Des personnes d’autres villes de Moldavie et un groupe de jeunes d’une des paroisses orthodoxes de Iaşi, qui avaient été à Taizé, sont aussi venus.
Le lendemain, les frères ont pu visiter la mère de Luminiţa Solcan, la jeune femme qui a mis fin si tragiquement à la vie frère Roger en août 2005. Accompagnés d’un prêtre qui la connaît bien, les frères ont pu exprimer leur sympathie à cette mère dont la vie a été bouleversée par ce qu’il est arrivé à sa fille.
Au cours de la prière du soir à la cathédrale, frère Alois répété la prière qu’il a dite au cours des funérailles de frère Roger. « Dieu de bonté, nous confions à ton pardon Luminiţa Solcan qui, dans un acte maladif, a mis fin à la vie de notre frère Roger. Avec le Christ sur la croix nous te disons : Père, pardonne-lui, elle ne sait pas ce qu’elle a fait. Esprit Saint, nous te prions pour le peuple de Roumanie et pour les jeunes Roumains tellement aimés à Taizé. »
Cluj
Après avoir traversé en train les paysages spectaculaires des montagnes des Carpates, les frères sont finalement arrivés à Cluj, une des plus grandes villes et centres universitaires de la Transylvanie, plongée dans la chaleur torride d’un été très précoce.
La région a une longue histoire de multiculturalisme, puisqu’elle abrite à la fois une majorité de Roumains, mais aussi des Hongrois, des Saxons (Allemands), des Tsiganes et d’autres peuples encore. Ses liens avec l’Europe centrale lui donnent une saveur différente du reste de la Roumanie, au sud et à l’est des Carpates. La Transylvanie a été également un des premiers territoires à proclamer la liberté de conscience et de religion, et aujourd’hui de nombreuses églises se trouvent côte à côte. La grande diversité est impressionants : orthodoxes, catholiques de rite latin et de rite oriental, réformés, luthériens, évangéliques et pentecôtistes ... Et ceux qui viennent à Taizé ont pour tradition de travailler ensemble en étroite collaboration avec les différentes confessions.
Frère Alois était invité à Cluj par le métropolite orthodoxe Bartolomeu, qui a accueilli les frères et les a surpris en leur montrant un article qu’il avait écrit à propos de Taizé en 1957 dans la revue du Patriarcat – la première personne de Roumanie à écrire sur Taizé. Alors qu’il travaillait à la Bibliothèque patriarcale à Bucarest, il avait accès à des périodiques de l’ouest que personne d’autre n’était autorisé à voir.
Tout un week-end était prévu à Cluj avec des jeunes venant de toute la Transylvanie, d’autres régions de la Roumanie, de Hongrie, d’Autriche et même au-delà. Le vendredi, une prière simple, dans une atmosphère toute familiale a eu lieu dans l’Église réformée. C’est là que le jeune pasteur a commencé à organiser des voyages de jeunes à Taizé au début des années 1990. Ils ont commencé à se rencontrer – Hongrois et Roumains – et à préparer des veillées de réconciliation, jusqu’à ce qu’ils décident qu’il importait, non seulement de les préparer dans ce lieu, mais d’aller aussi prier dans d’autres églises ; ils ont alors commencé à varier le lieu de la prière.
Le samedi, il y avait des ateliers : une méditation biblique de frère Alois sur les disciples d’Emmaüs dans la nouvelle cathédrale gréco-catholique encore en construction, une visite dans quatre églises historiques de la ville ; découvrir les icônes avec un prêtre de la ville dont la passion est l’art sacré – moderne et ancien. Le Père Bizau a dit aux jeunes : « Taizé a joué un rôle très important dans la redécouverte des icônes à l’ouest, mais également ici, à l’est. Certains jeunes voient la reproduction d’une authentique icône pour la première fois lors de leur séjour à Taizé : La Trinité de Roublev, l’icône copte (égyptienne) de Jésus et le Croyant (l’Abbé Menas), la Mère de Dieu de Vladimir. »
…
La célébration, belle et forte, des Vêpres orthodoxes dans la cathédrale métropolitaine a été suivie, en fin de soirée, par une veillée de prière avec les chants de Taizé dans la vieille église Saint-Michel au centre de la ville, l’église gothique située le plus à l’est de l’Europe. En une heure, après la fin de l’Eucharistie du soir, l’église a été transformée très simplement par une grande équipe de jeunes enthousiastes qui ont disposé des icônes et quelques bougies. Les lectures ont été lues par les prêtres et les pasteurs des différentes paroisses. Les jeunes ont rempli l’église de leur chant joyeux tandis qu’ils priaient autour de l’icône de la croix et allumaient des bougies pour célébrer le Christ ressuscité qui nous unit.
Dans sa méditation, frère Alois a cherché à encourager tous ceux qui étaient là :
« Dans un temps où beaucoup connaissent la tentation du découragement ou du scepticisme, nous voudrions nous laisser entraîner par la dynamique de la résurrection ! La résurrection du Christ est comme une lumière qui éclaire le sens de notre vie et qui allume une espérance pour le monde. Ressuscité, le Christ accompagne chaque être humain et il ne cesse de chercher notre amitié. À tous, il nous est donné de vivre une amitié avec lui. Ce n’est pas pour rien qu’il nous dit dans l’Évangile : « Je ne vous appelle plus serviteurs, je vous appelle amis. »
Cette amitié nous la vivons aussi entre nous. Le Christ nous réunit dans une seule communion, celle de l’Église. Il nous met ensemble avec des gens tellement différents : à première vue nous aurions parfois eu du mal à les choisir comme amis. Et pourtant, par le Christ, se crée une amitié plus profonde que des affinités spontanées.
Tous ensemble nous constituons l’Église. Et nous découvrons que, ensemble, en tant qu’Église, nous pouvons contribuer à ce que nos sociétés trouvent un visage plus humain, qu’elles soient marquées plus par la confiance que par la méfiance. Si nos paroisses, nos groupes de jeunes, pouvaient être d’abord des lieux de bonté du cœur et de confiance ! Des lieux accueillants, où nous cherchons à nous soutenir mutuellement, des lieux où nous sommes attentifs aux plus faibles. »