2015 : HongrieAccompagner les réfugiésFerenc, un père de famille qui vit à Taizé depuis plusieurs années pour aider à l’accueil des jeunes, est allé rencontrer des réfugiés qui arrivent par dizaines de milliers en Hongrie. Étant lui-même hongrois, il prépare trois jeunes volontaires venus de Taizé pour y vivre quelques semaines en « petite fraternité provisoire ». Il raconte :
Nous sommes arrivés vers midi avec Kristóf, jeune photographe ami, à la frontière qui sépare la Hongrie de la Serbie. À la sortie du paisible village de Röszke, tout d’un coup, un campement de deux ou trois hectares s’étalait devant nous des deux côtés d’une petite route de campagne à peine goudronnée. Il y avait des tentes de camping de toutes les couleurs, quelques chapiteaux plus imposants, deux serres d’une exploitation agricole voisine transformées en dortoirs, une quarantaine de toilettes mobiles et un fourmillement impressionnant de personnes. C’était le point d’arrivée et d’accueil des réfugiés en Hongrie. À l’entrée du campement côté village, deux volontaires allemands s’occupaient de la circulation et faisaient garer toutes les voitures sur un parking improvisé dans un champ. Ils ne laissaient passer que les (rares) voitures de la police hongroise présentes sur les lieux, les voitures médicalisées et les chargements des diverses associations d’entraide aux réfugiés.
Sur la voie ferrée qui coupe à angle droit la petite route goudronnée, aucun train ne passe plus depuis des années. Heureusement, car la circulation des personnes y était dense et sans interruption. Il faut imaginer cela un peu comme l’arrivée des groupes à une rencontre européenne : une file ininterrompue de pèlerins qui arrivent à pied du sud et vont vers le nord. J’ai été tout de suite frappé par le nombre de familles avec enfants, parfois des bébés dans des poussettes pas vraiment pratiques sur les poutres de soutien des rails, des femmes enceintes, des grands-mères et des hommes d’âge respectable, aidés par les plus jeunes. Je suis resté une bonne demi-heure sans pouvoir dire un mot ni bouger, à avaler mes propres larmes. Les sacs à dos étaient en général beaucoup plus petits que celui des jeunes qui arrivent à Taizé pour une semaine. Les mieux équipés avaient des sacs à dos de randonnée, mais beaucoup de gens n’avaient que des sacoches en plastique comme s’ils revenaient de leurs courses au supermarché. Nous avons marché avec Kristóf jusqu’à la frontière avec la Serbie en remontant le flot des réfugiés. Les regards épuisés étaient plutôt craintifs, mais devenaient vite souriants aux premiers mots que nous pouvions échanger en arabe ou en anglais : « marhaban, assalamu aleikoum, welcome »... Quelques mètres avant la frontière, du côté hongrois, se dressait l’horrible grillage de fer, le mur de la honte construit 25 ans après le démantèlement du rideau de fer. Ce jour-là, le passage au niveau du chemin de fer était encore ouvert et c’était par là que tout le monde passait. Nous avons fait quelques centaines de mètres du côté serbe. Les gardes frontières et quelques soldats hongrois nous regardaient sans rien dire, mais du côté serbe, nous n’avons vu aucune présence des autorités. Ce lieu de passage entre les deux pays concentrait l’attention des médias du monde entier et on pouvait voir les caméras des télévisions les plus diverses...
De retour en Hongrie, j’ai discuté avec des gens du bureau hongrois de l’Agence des Nations Unies pour les Réfugiés venus de Budapest, ils effectuaient un comptage au niveau de la barrière. Il y avait parmi eux une Syrienne qui donnait sans arrêt en arabe les informations les plus importantes aux nouveaux arrivés : « À 10 minutes de marche, vous aurez le camp de premier accueil, vous trouverez de la nourriture, des médecins, des tentes individuelles pour vous reposer, des vêtements, des chaussures de marche, des couvertures si vous voulez passer la nuit...puis des bus bleus hongrois qui vous transporteront au camp de réfugiés où vous serez invités à déposer votre demande de droit d’asile. » Selon le traité de Dublin que la Hongrie a essayé tant bien que mal de respecter, la demande d’asile doit être faite dans le premier pays de l’Union Européenne où le réfugié arrive. Il faut remplir un formulaire et laisser une empreinte digitale. C’est ce dernier point qui faisait peur à une grande partie des gens... Pendant la seule journée de samedi 12 septembre, les autorités hongroises ont transporté 4.500 personnes par bus vers divers camps de réfugiés, à comparer avec les chiffres que les gens de l’Agence des Nations Unies nous ont glissé à l’oreille vers 10 heures du soir : ils en étaient à 11.000 passages ! Ceux qui n’ont pas pris les bus sont partis à travers les champs de maïs particulièrement hauts en ce moment de l’année. La plupart allaient directement vers les passeurs qui attendaient à la station d’essence toute proche (1,5 km). Ils nous ont d’ailleurs aussi proposé de nous emmener à Budapest (à environ 220 km) pour 100 euros. On n’a pas réussi à avoir les tarifs pour Vienne ou Munich. Les plus pauvres continuaient à pied vers la gare de train la plus proche, mais se faisaient très souvent arrêter par la police qui quadrille la région. C’était incroyable de voir comment le camp d’accueil s’organisait sans aucune coordination centrale et comment les organisations de tout bord travaillaient ensemble. C’était une autre image de la Hongrie et de l’Europe centrale, que les médias n’arrivent pas forcément à transmettre. J’ai vu des jeunes arriver de Budapest en voiture et demander s’ils pouvaient aider. Cinq minutes plus tard, ils avaient une étiquette « volunteer » sur leur chemise et ils distribuaient la nourriture ou ramassaient les poubelles qui s’entassaient sur des monticules de plus en plus hauts sur les bords du campement. Je suis convaincu que quelque chose d’essentiel a commencé dans la société hongroise et que nombreux sont aujourd’hui ceux qui aimeraient continuer à apporter une aide concrète aux réfugiés à long terme. Oui, c’est vrai, certains politiciens jouent un horrible jeu politique où le plus important sont les élections à venir. Oui, les évêques hongrois ont du mal à interpréter les paroles du pape François. Oui, il y a des peurs réelles dans la population qu’il faut écouter et comprendre. Mais il y a eu tellement de bonne volonté, tellement de gens dans les rues, dans les gares et aux frontières venus spontanément pour aider les réfugiés. Tous ces gens ont donné la preuve que l’hospitalité n’est pas un vain mot et qu’elle existe encore dans notre société.
Les jeunes volontaires arrivés de Taizé après la fermeture des frontières par les autorités hongroises le 15 septembre ne verront probablement plus les grandes foules de réfugiés traverser le pays, comme c’était le cas dans les trois ou quatre dernières semaines. Mais certains sont toujours là, certains reviennent ou sont refoulés en Hongrie par d’autres pays européens, d’autres encore continuent d’arriver par la Serbie, la Croatie et la Roumanie. Les passeurs se font des fortunes. Alors, nous avons pensé que le plus utile actuellement est d’apporter notre contribution à un programme initié par les jésuites : « Hospes venit, Christus venit ». C’est un programme qui veut :
Projet actuelConcrètement, à partir de la semaine prochaine, les volontaires de Taizé iront tous les jours dans un ancien orphelinat au nord de Budapest où ont été rassemblés tous les réfugiés mineurs arrivés en Hongrie sans parents. L’espoir est d’accompagner ces enfants qui ont tout perdu et de leur rendre plus belles les journées. « Hospes venit, Christus venit » |