L’année dernière, la pandémie a été une période particulièrement difficile pour beaucoup de gens. En fait, les confinements ne sont vraiment possibles que dans des pays stables et riches, ou dans des pays où la population est très disciplinée. Le Bangladesh est une société chaotique et fragile ; les habitants travaillent dur, sans filet de sécurité, et il y a peu de soutien institutionnel. Le gouvernement a décrété un confinement en mars 2020, et immédiatement, les gens ont commencé à souffrir de la faim – ils sont des millions à vivre au jour le jour. De nombreuses personnes se sont mises à distribuer de la nourriture dans les taudis ou dans les villages isolés – au milieu de cette crise, des gens ont tout à coup fait preuve de générosité et de courage, de façon chaotique, mais sincère. Nous aussi, nous sommes allés souvent à la campagne pour distribuer de la nourriture que nous avions conditionnée. En ville, nous l’avons fait en secret, par l’intermédiaire d’amis, pour ne pas être submergés par un flot de personnes désespérées. Les étudiants bénévoles de Shanti Mitra et de Mikrakbo nous ont aidés à emballer et à distribuer.
Pour les Garos, la pandémie a été particulièrement grave, non pas à cause du virus (très peu l’ont contracté, et il n’y a eu aucun mort), mais à cause des efforts pour contenir sa circulation. Au cours des trente dernières années, des milliers de Garos, hommes et femmes, ont émigré de la campagne vers les grandes villes ; ils ont trouvé du travail comme employés de maison, dans l’industrie textile ou tout particulièrement dans les salons de beauté. Ces salons se sont multipliés et on a fini par trouver plus ou moins évident que les esthéticiennes soient des femmes Garos. Il est vrai que de nombreuses esthéticiennes Garos avaient d’excellentes compétences professionnelles, ce qui attirait les clients ; elles avaient de bons salaires et certaines avaient même ouvert leur propre salon. La plupart envoyaient une grande partie de leur revenu dans leur village, où leurs parents et leur famille vivaient pauvrement ; les plus avisées se rendaient compte qu’elles n’avaient aucun diplôme, donc guère d’alternative pour gagner leur vie ; elles ont acheté des terrains et fait construire des maisons.
Quand le virus a frappé, toutes ces femmes ont perdu leur travail et leur revenu pratiquement du jour au lendemain. Certaines sont retournées à la campagne immédiatement, d’autres se sont accrochées quelque temps, en espérant que ce n’était qu’un mauvais moment à passer, puis elles sont parties elles aussi parce qu’elles ne pouvaient plus payer leur loyer. Cela a été un désastre majeur, qui a touché des milliers de personnes, parce que les esthéticiennes et les autres personnes qui travaillaient en ville faisaient vivre des quantités de membres de leur famille restés chez eux.
À peine un an et demi plus tôt, nous avions lancé une petite association de solidarité avec les travailleuses locales et les travailleurs migrants, hommes ou femmes, et aussi un service d’aumônerie pour les détenus chrétiens dans les cinq districts de Mymensingh et des environs. Les travailleuses étaient pour la plupart esthéticiennes, et elles avaient perdu leur emploi. Avec Chengsi Mree et Dina Mrong, les deux femmes qui étaient investies dans l’association, nous avons décidé d’aller rencontrer les femmes dans les villages pour les écouter dire comment elles imaginaient l’avenir. Grâce à quelques amis, nous avons pu leur donner une aide financière dont nous savions qu’elles avaient grand besoin – beaucoup avaient des dettes à payer et la plupart n’avaient pas du tout d’économies.
Lors de plusieurs réunions, étalées sur quelques semaines, nous avons rencontré plusieurs centaines de jeunes chômeurs, surtout des femmes, mais aussi quelques hommes, et nous les avons écoutés. Il souhaitaient tous retourner en ville, mais ils se rendaient compte que ce ne serait peut-être pas possible. Comme tout un chacun partout dans le monde, ils auraient juste voulu que le virus disparaisse et que tout redevienne comme avant, mais ils sentaient bien que ce virus avait peut-être amené des changements définitifs. Et dans ce cas, que faire ?
Ce sont des femmes qui ont l’esprit pratique, qui sont habituées à travailler dur et à la précarité ; elles étaient coincées à ce moment-là, mais n’avaient aucune intention de laisser durer cette situation. Pour la plupart, elles avaient tout au plus fréquenté l’école primaire, donc il ne pouvait pas être question d’emplois du bureau. C’était soit les salons de beauté, soit le travail de la terre, et les salons de beauté étaient fermés. Donc on a discuté ensemble quelques projets : vaches, poulets, jardins potagers, chèvres.
Finalement, avec une aide supplémentaire venue d’amis généreux, nous avons pu procurer des canards, des chèvres et des cochons à certaines des femmes que nous avions rencontrées. À ce moment-là, les choses avaient déjà commencé à changer, même s’il ne s’agissait pas du tout d’un retour à la situation antérieure à l’épidémie. Il y avait de nouveau quelques offres d’emploi en ville, et les plus entreprenantes parmi ces femmes sont reparties. On voyait bien que l’orage était passé, mais le paysage avait changé. Nos contributions ont été symboliques, mais notre préoccupation a été remarquée et appréciée. Nous avons rencontré des jeunes femmes remarquables et nous avons eu l’occasion de les écouter. L’une d’elle nous a dit : « Quand nous gagnions beaucoup d’argent, les gens nous encourageaient. Maintenant, personne ne nous écoute, c’est comme si nous avions cessé d’exister. » C’est précisément ce que nous avons pu faire, et c’était un privilège pour nous.