Dans la tourmente de la grande crise mondiale de « 68 », bien des jeunes, sur tous les continents, ont claqué la porte d’une Église que - toutes confessions confondues - ils trouvent poussiéreuse, qu’ils jugent trop éloignée d’un engagement pour plus de justice, voire complice parfois de l’exploitation de l’homme par l’homme.
Pourtant, à Taizé, dès février 1969, se rassemblent des jeunes de 42 nations qui recherchent des lieux de parole. Ils ne sont pas tous chrétiens mais partagent de grandes aspirations. Non sans hésitation, la communauté de Taizé les accueille, se met à leur écoute et improvise. Comment tenir compte de leur diversité et avancer ensemble ? Comment éveiller une espérance chez ceux qui sont découragés ? Que proposer pour aller de l’avant ? - Un « concile des jeunes » ! Et beaucoup de jeunes chrétiens de tous horizons ont répondu à cette proposition.
Frère Roger, le prieur de la communauté, avait été très marqué par la manière de travailler du Concile œcuménique Vatican II avec des représentants de tous les pays du monde. Il y avait été invité comme observateur : prier ensemble, s’écouter mutuellement avec alternance du travail en petits groupes et en plénière, se laisser interroger, se laisser modifier, puis rentrer chez soi, réfléchir, se retrouver à nouveau... ainsi, à plusieurs reprises, pour aboutir à la fin à des propositions concrètes pour un renouvellement de l’Église. Serait-il possible que des jeunes de tous les continents fassent ensemble une même expérience ? Tel fut le projet lancé à Taizé. On parlerait aujourd’hui d’une démarche synodale.
L’annonce en est faite à Pâques 1970. Des jeunes sont envoyés en de nombreux pays pour écouter, essayer de comprendre et de formuler les attentes des nouvelles générations. Après quatre ans de préparation, l’ouverture a lieu à Taizé du 31 août au 1er septembre 1974, rassemblant des milliers de jeunes, un événement d’Église hors du commun à l’époque ; elle est suivie de grandes rencontres en divers points du globe, en commençant par Guadalajara au Mexique où s’inaugure le style des rencontres de Taizé avec un accueil dans les familles, et très discrètement en Pologne encore sous régime communiste.
Les chants choisis pour l’ouverture représentaient la diversité des cultures rassemblées mais ne coïncidaient pas avec l’identité de la communauté et le projet du concile des jeunes. Cette prise de conscience par les frères a été à l’origine du travail de composition des « chants de Taizé » qui ont fait le tour de la terre.
Même accompagnés par une équipe intercontinentale de jeunes, ni la communauté ni son prieur n’ont eu de claire vision ni de méthode pour poursuivre. Bien vite est apparu le risque que des jeunes créent un « mouvement Taizé », ce que la communauté voulait à tout prix éviter. En outre certains hommes d’Église ne voyaient pas d’un bon œil le projet de Taizé. Le concile des jeunes s’avérait être une initiative finalement impossible. Il est alors « mis en veilleuse » et remplacé par un « pèlerinage de confiance à travers la terre » à partir de 1980. Mais la même dynamique a poursuivi, sans système ni recette.
Et depuis, avec le réalisme et l’audace d’une foi à l’œuvre, la communauté de Taizé continue de cheminer et d’inventer un style de rencontres en dialogue avec des jeunes chercheurs de paix de tous les continents, à l’écoute des défis du monde contemporain, attentifs aux questions écologiques et à la recherche de solidarités nouvelles.
Sabine Laplane sfx