TAIZÉ

Méditation de frère Matthew

La prière plus forte que la haine

 
Du 22 au 24 septembre, frère Matthew a participé au rassemblement de Sant’Egidio à Paris. Voici le texte de l’intervention qu’il a donnée le lundi après-midi lors de l’un des forums.


Je voudrais commencer en citant une parole de frère Roger, le fondateur de Taizé, qui vient du dernier texte qu’il avait écrit aux jeunes avant sa mort en 2005 dans une lettre qui s’appelle « Un avenir de paix » :

« La prière n’éloigne pas des préoccupations du monde. Au contraire, rien n’est plus responsable que de prier : plus on vit une prière toute simple et toute humble, plus on est conduit à aimer et à l’exprimer par sa vie. »

Et puis le théologien orthodoxe Olivier Clément a écrit les mots suivant dans son livre « Taizé, un sens à la vie » :

« C’est le lien entre une expérience spirituelle profonde et une ouverture créatrice sur le monde qui est au cœur des rencontres animées à Taizé, celles-ci s’articulant depuis de nombreuses années autour du thème "vie intérieure et solidarités humaines". Et c’est ce christianisme-là qui doit être visé, car plus on devient un homme de prière, plus on devient un homme de responsabilité.

La prière ne libère pas des tâches de ce monde : elle rend encore plus responsable. Rien n’est plus responsable que de prier. Cela, il faut véritablement le comprendre et le faire comprendre aux jeunes. La prière n’est pas un divertissement, elle n’est pas une sorte de drogue pour le dimanche, mais elle nous engage dans le mystère du Père, dans la puissance de l’Esprit Saint, autour d’un Visage qui nous révèle tout visage, et nous fait finalement serviteurs de tout visage. »

J’hésite à développer plus ce thème de manière théorique. Il y a un risque de tomber dans des paroles bien intentionnées mais qui sont loin de l’expérience des personnes qui se trouvent dans des situations où la haine les guette. La tentation est de proposer des solutions faciles, le baume d’un moment, mais qui risquerait dans la durée d’augmenter le sentiment d’être oublié et abandonné, de devoir lutter seul face à un ennemi qui invite à la haine.

Alors, je voudrais vous proposer d’écouter quelques témoins que j’ai rencontrés à Taizé ou ailleurs ces derniers mois. Pour reprendre les paroles d’Olivier Clément, la prière « nous engage dans le mystère du Père, dans la puissance de l’Esprit Saint, autour d’un Visage qui nous révèle tout visage, et nous fait finalement serviteurs de tout visage. » Cherchons à découvrir ces visages que le Visage nous dévoile.

Lors d’une visite en Ukraine au mois de mai avec deux de mes frères, l’archevêque majeur de l’Église gréco-catholique, Mgr Sviatoslav Chevtchouk, nous a dit en présence de sa conférence épiscopale au sanctuaire de Zarvanytsia : « La prière ouvre un espace qui permet la guérison. »

Cette remarque m’avait beaucoup frappé. Venant d’un homme qui est confronté constamment à la peine de son peuple, il voit que c’est dans la vie intérieure que l’être blessé se reconstruit. C’est un processus qui ne donne pas forcément de résultat immédiat, mais qui, accompagné peut-être d’autres moyens, permet une ouverture pour surmonter ce qui nous a fait mal.

Pour les personnes qui ne peuvent pas prier, simplement de savoir qu’il y en a d’autres qui prient pour eux les aide à aller au-delà des obstacles que la guerre représente. Une amie de l’Ukraine que nous avons aussi visitée en mai écrit :

« J’ai 32 ans. Un tiers de ma vie a été consacré aux conversations quotidiennes, aux pensées et aux prières liées à la guerre russo-ukrainienne. 10 ans de ma vie. Parfois, je pense que mon cœur a la taille d’une planète : il y a tant de douleur due aux pertes, mais encore plus d’espoir pour une Ukraine libre. S’il vous plaît, priez pour nous. Priez pour notre liberté. »

Récemment à Taizé, une jeune femme d’un pays asiatique nous a partagé les paroles suivantes :

« Depuis trois ans, de nombreux conflits ont éclaté dans le pays. Des milliers de maisons ont été incendiées et de personnes tuées. Le nombre de personnes déplacées a considérablement augmenté, de même que le nombre de victimes de mines et d’autres violations des droits humains. Il y a encore beaucoup de gens qui sont sans défense et où l’aide humanitaire ne peut pas les atteindre.

Je travaille à Caritas pour aider ces personnes. Je leur rends visite de temps en temps avec les membres de mon équipe et j’écoute leurs récits. Je (..) ne peux pas répondre à tous leurs besoins. Cependant, le fait d’être avec eux et de les écouter avec mon cœur le plus profond les réconforte, les sécurise et les rassure.

Je n’ai jamais rien demandé à personne parce que Dieu m’a donné en abondance tout ce dont j’ai besoin avant que je ne le lui demande. J’ai reçu une bonne éducation, un bon travail, et j’aide les gens qui ont besoin d’aide, et il y a des gens qui m’admirent et veulent me ressembler. De quoi devrais-je me plaindre ? Je suis bénie ! Oui, je suis bénie.

Dieu n’a jamais abandonné son peuple et il tient toujours ses promesses. Il est toujours là pour chacun d’entre nous quand nous avons besoin de Lui.

Merci de prier pour mon pays et ma ville où le conflit est en cours en ce moment et où beaucoup de gens ont déménagé dans d’autres villes où ils pensent être en sécurité, mais ma famille est toujours dans la ville. »

Comment se fait-il que cette jeune femme puisse avoir le cœur si joyeux et ne pas sombrer dans la haine ? C’est en grande partie parce que la prière des autres et sa propre prière la portent et l’ouvrent à son peuple pour pouvoir l’aider concrètement dans l’état de guerre actuel.

La prière donne de tenir face aux situations les plus complexes. C’est une manière de stopper le flot des vagues de découragement quand tout semble obscur. Une mère de famille palestinienne actuellement en France mais dont la famille est à Gaza nous avait écrit :

« L’amour qui porte les blessés, les fragiles, donne à nouveau de la force. Cela me fait penser au paralytique, porté par ses amis et par leur foi. La prière est aussi une manière de résister, pour moi c’est important.

Mais je suis humaine : après l’annonce de l’assassinat de deux membres de ma famille, la colère me submerge, j’ai crié, j’ai pleuré… Reprenant mes esprits, je savais que Dieu est là avec la souffrance et le désespoir, et qu’il nous porte. Son amour apaise cette souffrance qu’il travaille dans ma prière. J’en suis convaincue. Il est avec eux, toutes et tous. »

Cet été, de passage à Taizé, cette femme palestinienne nous a dit : « Chaque matin, je prie pour trouver la force d’aimer plutôt que de haïr ». Ses paroles sont pour nous comme une lampe sur le chemin.

Le 7 mars de cette année, nous avons fait une marche pour la paix de 34 km entre Taizé et la ville de Givry. La distance de Gaza à Rafah est de 33km. Les 33 km nous rappellent aussi des 33 années que Jésus a vécues sur terre avant de donner sa vie pour tous, afin de devenir notre paix et de détruire la haine qui séparait les peuples (Éphésiens 2,13-14), et nous nous sommes souvenu que, dans la tradition Talmudique, il existe 36 justes dans chaque génération qui sont cachés et qui ne savent pas eux-même qu’ils sont parmi les justes. Le monde repose sur eux. Notre marche s’approchait de ce chiffre.

Nous voulions aussi nous rappeler que Taizé est né pendant la guerre, que ces années du début ont formé la communauté, avec l’accueil par frère Roger des réfugiés, dont certains était juifs, et avec le contact avec des prisonniers de guerre à la libération. Notre marche traversait la ligne de démarcation qui, de 1940 à 1942, séparait en France la zone libre de la zone occupée.

Quatre haltes pour écouter des témoignages et pour prier nous ont permis de nous rendre proches de celles et ceux qui souffrent à Gaza et en Cisjordanie et des otages israéliens et de leurs familles, du peuple de Myanmar, des victimes de la guerre au Soudan et des personnes en Ukraine qui luttent pour son existence. Une intercession nous a aidés aussi à prier pour les personnes qui, sous des régimes autoritaires, militent pour la justice et la paix.

Chaque participant à la marche a reçu un caillou au début de la marche avec le nom d’une personne vivant dans les zones de conflit. Nous étions invités à porter cette personne avec nous pendant la marche, à prier pour elle. Cet engagement devait continuer aussi après la marche. La marche a commencé par cette prière avec laquelle je voudrais terminer :

« Dieu fidèle, Dieu pèlerin, tu marches toujours au devant de nous. Sois présent avec nous tous, tout au long de cette journée, nous qui nous mettons en chemin par la marche, par la prière ou en pensée. Où que nous soyons, sur les sentiers, dans les églises, ou dans nos lieux de vie, c’est toi qui nous parles à travers les témoignages que nous entendrons. Ouvre notre cœur pour entendre le cri des innocents qui souffrent de la guerre qui leur est infligée. Envoie ton Esprit Saint pour nous accompagner et nous rappeler que c’est ton Fils, Jésus le Christ, qui est notre paix. Par lui tu nous bénis toujours. Fais de nous des pèlerins de paix. »

Dernière mise à jour : 26 septembre 2024