Il y a des pays dont on entend tout le temps parler. Il y en a d’autres dont on entend parler uniquement lorsqu’il y a un problème. Et il y a aussi des lieux qui semblent presque invisibles, dont beaucoup de gens ne se rendent même pas compte qu’ils existent. « La Moldavie, n’est-ce pas là où Tintin est allé trouver le sceptre d’Ottokar ? Est-ce vraiment un pays ? »
Voilà pourquoi il semblait qu’une raison suffisamment bonne de visiter la Moldavie était d’aller dire « Nous n’avons pas oublié que vous êtes là ! Même si notre dernière visite remonte à quinze ans, nous pensons à vous et vous gardons dans nos prières ! »
Bien sûr, certains ont entendu parler de la Moldavie et non pas uniquement ceux qui vivent dans cette partie de l’Europe. « N’est-ce pas un pays vraiment très pauvre ? Est-ce qu’ils n’ont pas un terrible problème avec le trafic d’êtres humains ? Est-ce qu’il n’y a pas eu une sorte de guerre là-bas ? Une partie du pays n’a-t-elle pas été déclarée indépendante ? Oh, je crois que j’ai vu ça à la télé l’autre jour - le parlement était pris d’assaut, êtes-vous sûr que c’est sans danger d’y aller ? » Oui, il y a une part de vérité dans tout cela… Mais au-delà des clichés et des préjugés, à quoi ressemble véritablement la Moldavie ?
La Moldavie est prise en sandwich entre ses deux grands voisins, la Roumanie et l’Ukraine, et elle a la sensation d’être coincée entre deux mondes : « l’Ouest » et l’ancienne Union soviétique. Elle semble souvent être un enjeu politique pour les gouvernements et même pour les Églises.
Mais en rencontrant des personnes ordinaires, j’ai été frappé par leur capacité à s’entendre pacifiquement malgré les différences d’ethnies, de langues, de confessions chrétiennes. Ce n’est pas rare d’entendre les gens, lorsqu’ils parlent, passer du roumain au russe ou inversement. Bien qu’il n’y ait pas de vraies relations formelles entre les Églises, en privé il y a beaucoup de liens à tous les niveaux, au-delà des divisions supposées. C’est là que l’on voit Dieu à l’œuvre, dans les moments simples de la vie quotidienne.
Bien sûr, il est important de ne pas nier qu’il y a des tensions et la vie est difficile. Mais bien que la vue d’ensemble semble n’être faite que de divisions et de désespoir, à un niveau personnel, il est aussi possible de sentir une communion entre les gens. Ils désirent appartenir les uns aux autres ; ils appartiennent déjà les uns aux autres. Et même si tout semble morose en ce moment, au fond la Moldavie est un endroit magnifique. La sensation durable que j’y ai ressentie était la paix.
La diversité des personnes que j’ai pu rencontrer en une semaine était impressionnante, grâce aux amitiés construites durant des années, aux relations créées par des gens qui ont visité Taizé et aux petits groupes de jeunes qui sont venus participer aux rencontres européennes ces dernières années.
J’ai passé beaucoup de temps à Chișinău, la capitale. On peut voir encore que la ville a été construite à l’époque soviétique avec de grands boulevards vides et des immeubles monumentaux, mais c’est également l’une des villes les plus vertes du monde, pleine de grands parcs et d’avenues bordées d’arbres. On peut également sentir ces influences chez les gens : la société est très marquée par l’héritage du communisme, mais il y a aussi quelque chose de plus profond, en harmonie avec la création de Dieu, réellement vivant. La foi profonde de beaucoup de personnes en est un témoignage fort.
Dans la paroisse catholique, j’ai été chaleureusement accueilli pour différentes prières, dont une prière magnifiquement menée avec les chants de Taizé. J’y ai rencontré les jeunes et les moins jeunes. C’est une communauté petite, mais active, dont la réapparition est très inspirante, depuis qu’elle est redevenue légale dans les années 90.
Un soir, j’ai été accueilli par les jeunes de Casa Concordia, une maison pour enfants et jeunes qui sont sans parents, ou qui ne peuvent pas vivre chez eux. Cette maison a été ouverte par un prêtre autrichien, mais est fortement ancrée dans la culture du pays. Assis dans le sous-sol autour d’un feu crépitant, nous avons partagé des histoires et des chants. J’ai parlé de ce que nous faisons à Taizé, ils ont parlé de ce qu’ils font ensemble dans leur communauté. Nous étions tellement captivés que nous avons oublié de manger les gâteaux qu’ils avaient achetés !
Une autre ONG qui travaille avec les orphelins et les enfants de milieux défavorisés venait de perdre ses locaux. Nullement découragés, ils ont trouvé un appartement vide et sont en train de le transformer en un lieu d’accueil. Cela vaut vraiment la peine, les jeunes semblent chez eux, si heureux et en lieu sûr. Un groupe faisait ses devoirs avec l’aide de quelques volontaires. D’autres fabriquaient des cartes à vendre pour soutenir le projet. Et il y a également eu un petit temps pour faire voler un avion en papier dans le couloir et manger la pomme la plus délicieuse que j’aie jamais goûtée, certains d’entre eux l’avaient ramassée dans le parc entre les immeubles.
J’ai également pu me rendre dans des villages. À la campagne, les gens sont pauvres – mais avant le voyage, j’avais été en contact avec deux paroisses orthodoxes qui mènent d’impressionnants projets pour soutenir la population locale. Ils ont des projets sociaux pour fournir de la nourriture et animer des crèches, mais l’objectif va au-delà. Il y a aussi des cours pour apprendre à peindre des icônes, des cours de catéchisme pour en découvrir plus sur la foi, le don de sang pour les transfusions, des événements de sensibilisation sur le SIDA et d’autres problèmes de santé, des pèlerinages écologiques, des événements de formation des bénévoles, et la liste continue ...
Les 36 heures passées en Transnistrie, la république dissidente sur le côté est de la rivière Dniestr, m’ont donné l’opportunité de rencontrer et de prier avec deux groupes de jeunes très enthousiastes à Tiraspol et Rîbnita. L’un des prêtres m’a accompagné toute la journée dans ce voyage éclairant. Sa façon d’être était si simple et modeste. Mais j’ai surtout été impressionné par son engagement : appelé par l’Évangile à quitter sa maison, il est venu là pour exercer son ministère auprès de ces gens, souvent dans des circonstances difficiles.
J’ai également eu le privilège de passer une nuit dans un monastère orthodoxe. Noul Neamț a été fondé par des moines qui étaient venus de l’autre côté de la Moldavie – ce qui est aujourd’hui la Roumanie. Ils ont ramené avec eux des traditions et des enseignements du vénérable père spirituel du monastère de Neamț, saint Paisie Velichovsky, une figure importante du renouveau du monachisme en Moldavie et en Roumanie au 18e siècle. Le village est contrôlé par les autorités de la Transnistrie et est constitué majoritairement de Russes, mais les moines viennent de différentes ethnies, comme ce fut le cas au temps de saint Paisie, et c’était magnifique d’être témoin de la liturgie bilingue célébrée dans le monastère, avec les moines qui passaient sans difficulté du roumain au slavon pour chaque chant.
Quand je suis arrivé à l’aéroport de Chișinău au début du voyage, le temps était clair et doux, très chaud pour une après-midi de février. « C’est beau ici », ai-je dit aux jeunes venus me chercher à l’aéroport. « Oh, mais vous devriez le voir au printemps ! », m’ont-ils répondu. Les gens sont fiers de leur pays, mais ils veulent qu’on le voie sous son meilleur jour !
Souvent, les gens que j’ai rencontrés ne sont pas très optimistes, mais ils espèrent vraiment et croient que l’on devrait revenir bientôt, quand tout sera plus beau. Un visiteur reçoit peut-être ce cadeau : on peut voir les choses plus clairement lorsque l’on vient de l’extérieur. Mais visiter quelqu’un est également lui faire un présent. Et dans ce don mutuel, il y a Dieu. Et c’est pourquoi nous devons nous visiter les uns les autres.