TAIZÉ

2017 : USA

 

Saint Louis

Du 26 au 29 mai 2017, des centaines de jeunes de plus de trente États américains et d’autres du Canada se sont rassemblés à Saint Louis pour une nouvelle étape du pèlerinage de confiance sur la terre. Etape nouvelle à bien des égards, car elle touchait aux graves questions de racisme qui caractérisent cette région des États-Unis.


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C’est suite à la mort d’un adolescent noir américain, Michael Brown, et aux émeutes raciales qui ont suivi en 2014 dans la ville de Ferguson, banlieue de Saint Louis, que l’archevêque de ce diocèse, Robert Carlson, a eu l’idée d’inviter la communauté de Taizé à animer une rencontre à Saint Louis. L’archevêque avait eu connaissance du pèlerinage de confiance qui s’était tenu sur la réserve indienne de Pine Ridge en 2013. Cette réserve indienne du Dakota du Sud et la ville de Saint Louis ont en commun de vivre une profonde crise de confiance. Dans les deux cas, les jeunes en particulier se trouvent confrontés à un avenir qui paraît bouché. Ils ne croient plus aux promesses venant des politiques. Les frères de Taizé ont accepté l’invitation, en posant comme seule condition que la rencontre soit œcuménique et qu’elle puisse être préparée avec toutes les Églises de Saint Louis pendant au moins un an.

Des « soirées de la confiance »

Pendant plusieurs mois, deux frères de Taizé ont sillonné St. Louis et sa région mettant sur pied une quarantaine de « soirées de la confiance ». Ces soirées ont eu lieu dans des églises catholiques, épiscopaliennes (anglicanes), méthodistes (de plusieurs types dont l’église méthodiste africaine de Sion), presbytériennes, luthériennes, baptistes, ainsi que dans des églises libres. Des quartiers réputés dangereux (Saint Louis est l’une des villes les plus violentes des États-Unis) aux banlieues confortables, chacune de ces soirées a commencé par un temps de prière suivi d’échanges en petits groupes.

Pour ces échanges, les frères de Taizé sur place, soutenus par une équipe de préparation locale, avaient préparé des questions que l’on pouvait trouver sur un site internet tous les mois. L’objectif poursuivi a été de susciter une conversation qui pourrait être poursuivie pendant plusieurs mois, voire davantage, en tenant compte que ces conversations sur la confiance ne devaient en aucune façon éluder les ravages du racisme et les causes structurelles de ce phénomène. Le site internet précisait de quelle sorte de confiance il s’agissait : non pas un optimisme facile et trompeur, mais la confiance qui donne le courage de voir la réalité en face, qui aiguise le regard, qui pousse à être attentif à la souffrance de l’autre. En un mot, la confiance qui empêche de fuir. Pour certains, réfléchir à la question sous cet angle représentait une nouveauté. Les familiers des écrits de frère Roger retrouvaient, eux, une forte conviction du fondateur de Taizé : un chrétien doit savoir unir lutte et contemplation. Une vie intérieure authentique conduit à s’ouvrir à la souffrance du prochain, non pas à fuir les défis qui se présentent, mais à accourir. Dans son intervention, l’archevêque de Saint Louis soulignait : « Certains sont paralysés par la peur et détournent le regard de la souffrance, reportant sur d’autres le travail de guérison. [...] C’est mon espoir que ce pèlerinage ne soit pas le point culminant d’une conversation sur la confiance, non pas l’aboutissement d’une année de préparation et de rencontres, mais plutôt que ce pèlerinage soit l’étincelle qui allume le désir en nous d’apprendre, d’aimer davantage, d’aimer de façon plus complète. » Les émeutes de 2014 ont eu pour effet d’interroger les Églises sur leur comportement passé. Certaines ont commencé à ouvrir de nouvelles voies, notamment grâce à de remarquables pasteurs noirs – plusieurs furent chargés de l’animation d’ateliers pendant le pèlerinage de Saint Louis – et dans l’Église catholique, à la Commission Justice et Paix que l’archevêque Carlson a remis sur les rails après la mort de Michael Brown. La responsable de cette commission, Marie Kenyon, n’a pas caché que, dans certains milieux, la résistance à ce travail est encore considérable.



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Une marche à travers la ville

Le point culminant de la rencontre fut sans aucun doute la « marche de la confiance » à travers plusieurs quartiers de Saint Louis, associant chrétiens de toutes confessions ainsi que juifs et musulmans. Pour participer à la marche, chacun pouvait choisir son point de départ : une synagogue située dans le centre-ouest de la ville, la cathédrale catholique (les cloches ont sonné au départ de la marche à 14 h), une église presbytérienne dans le même quartier. Les différents groupes se sont retrouvés sur le boulevard Delmar, triste symbole d’une ville divisée et d’inégalités criantes. L’espérance de vie enregistre un écart de 18 ans selon que l’on habite dans une partie de la ville ou dans l’autre.

Longeant le boulevard Delmar, les participants ont pu découvrir des trottoirs à l’abandon, des maisons vides qui tombent en ruine suite à la fuite des blancs (white flight). Sur le parcours, un moment émouvant avait lieu devant une église baptiste noire, où les fidèles ont tenu à saluer les passants.


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La marche a compté trois arrêts. A chacun de ces arrêts, un témoin a pris la parole. Réunis dans le parking, jouxtant le quartier général des Filles de la Charité de cette région, des centaines de personnes ont écouté le Pasteur Willis Johnson, de Ferguson. Son intervention fut suivie par une prière prononcée par un délégué de la paroisse baptiste voisine. Remontant le boulevard Lindell, environ mille personnes se sont retrouvées sur le campus de l’université Saint Louis fondée par les Jésuites. Par un concours de circonstances, un centre islamique constitue comme une enclave dans le campus. Les frères avaient pris contact avec les responsables et à l’arrivée de la foule ce fut un accueil joyeux, des croyants musulmans en diverses tenues distribuant des bouteilles d’eau et saluant les passants.


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Au deuxième arrêt, tous écoutèrent les paroles fortes et stimulantes d’Amy Hunter, une mère noire américaine, connue dans la ville pour son engagement pour la justice, mais tout autant pour son sens pédagogique. Elle a choisi de mettre les participants au défi. « En rentrant chez vous, que ferez-vous ? Comment serez-vous acteur de changement ? » Lors d’une autre prise de parole, Amy avait raconté ce qui était arrivé à son fils de douze ans. Rentrant à la maison, il fut arrêté par la police, à quelques pas de chez lui. Il finit par arriver à la maison très ému et voulant en parler avec sa mère en lui disant : « J’ai hésité à m’enfuir et à courir jusqu’à la maison ». Sa maman : « Heureusement que tu ne l’as pas fait ! » Suite du dialogue entre eux :

  • Lui : « Mais, maman, pourquoi est-ce qu’on m’a arrêté, je marchais simplement vers la maison. »
  • Elle : « La police arrête ainsi beaucoup de jeunes noirs. »
  • Lui, tentant de cacher son émotion, car c’est un garçon de 12 ans avec toute sa fierté : « Mais, combien de temps ça va durer ? »
  • Elle, inspirant profondément, hésitant un peu, mais ne voulant rien cacher à son fils, de lui dire : « POUR LE RESTE DE TA VIE. »

Lorsqu’elle a prononcé cette phrase dans sa conférence, tous ceux qui étaient là ont eu comme le souffle coupé. Amy a aussi animé un atelier samedi après-midi.


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Au troisième arrêt, c’est un rabbin qui prit la parole. Son intervention était tournée vers l’avenir : comment préparer les jeunes enfants à une identité qui s’exprime en « nous » et non plus en « eux et nous » ? Avec beaucoup de sensibilité il partagea avec la foule l’initiative des fondateurs de « We Stories », et l’effet de la pédagogie déployée sur ses propres enfants, notamment la cadette de la famille. Cette initiative s’adresse plus particulièrement aux familles blanches qui ont souvent vécu dans une « bulle » et n’ont aucune expérience de la diversité ethnique.

Tous les marcheurs sont ensuite entrés dans le stade Chaifetz, une grande salle de sport située à l’extrémité sud du campus universitaire. L’intervention de l’archevêque fut suivie par celle d’une grande figure du christianisme noir américain : la pasteure Traci Blackmon, qui a été conseillère du Président Obama pour les questions liées au racisme. La Pasteure Blackmon fut particulièrement présente lors des événements de Ferguson et beaucoup croient que c’est largement grâce à elle que la situation n’a pas dégénéré dans un chaos total. La voix de Traci Blackmon se fait toujours entendre lorsque les pauvres sont malmenés et que le racisme tente de sévir. Dans son intervention, elle insista sur l’importance d’agir sur plusieurs fronts. Des changements « systémiques » s’imposent, car les systèmes perpétuent les injustices. De façon remarquable, elle insista tout autant sur les transformations intérieures sans lesquelles les transformations systémiques n’aboutiraient pas.

“L’œuvre qui s’accomplit ici est une œuvre sainte, c’est l’œuvre de Dieu, celle de rassembler, de prier, pas seulement avec nos lèvres, mais avec nos pieds. C’est en vérité un commencement. Je découvre en ce lieu une conversation qui développe des liens qui conduisent à des relations d’amitié, qui conduiront à des transformations durables. »



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Et maintenant, que faire ?

Lundi matin tous se retrouvaient dans le magnifique lieu de prière qui avait été aménagé dans le sous-sol du centre étudiant de l’Université Saint Louis. Après la prière où se mêlaient chants de Taizé et chants noirs américains dans lesquels la foule entrait volontiers, tous se sont attelés à la question : « Et maintenant, que faire ? » Quatre groupes de travail furent formés où tous étaient invités à répondre à ces questions :

  • qui souhaiterait continuer les soirées de confiance dans la ville et la région de Saint Louis ?
  • qui souhaiterait participer à une réflexion sur les changements systémiques ?
  • qui souhaiterait continuer à traverser les frontières qui nous séparent ?
  • qui souhaiterait se tenir proche des plus vulnérables de nos sociétés ?

Oui, ce pèlerinage n’est qu’un début, une humble parabole appelée à susciter d’autres initiatives auprès et au loin.

Dernière mise à jour : 9 juin 2017

Notes

[1Photo : Rosannae Chhouk

[2Photo : Rosannae Chhouk

[3Photo : Kathryn Ziesig/St. Louis Review

[4Photo : Kathryn Ziesig/St. Louis Review

[5Picture : Kathrine Blanner

[6Photo : Rosannae Chhouk