Lviv
La première étape de mon voyage était la grande ville de l’ouest du pays, Lviv où les liens d’amitié avec Taizé sont nombreux et anciens. C’est dans cette ville qu’en mai 2018 avait été animée la première rencontre de Taizé en Ukraine.
Comme en mai dernier, une prière avec les chants de Taizé était proposée dans l’église Sainte-Sofia, l’église du campus de l’université catholique ukrainienne. Au cours de cette prière, trois jeunes étudiants originaires de Kharkiv ont parlé de la guerre dans leur ville d’origine, où les missiles continuent à frapper régulièrement des lieux d’habitation et autres infrastructures civiles. Après la prière, un jeune s’approche : il était venu à Taizé il y a quelques étés et il est à présent soldat.
Une autre rencontre forte a eu lieu au séminaire gréco-catholique de Lviv, où étudient 150 jeunes se préparant à la prêtrise. Après les vêpres et le dîner, le recteur avait invité les séminaristes à une rencontre. L’un deux, suite à cette rencontre, me demande de prier pour son propre frère, actuellement sur le front. C’est ainsi qu’à tout moment, la guerre surgit dans les échanges personnels.
C’était le cas aussi lors de ma visite à la paroisse latine St Jean-Paul II, où un centre d’accueil pour les déplacés de l’est du pays continue à fonctionner à plein régime. Une paroissienne s’approche et le curé de la paroisse m’explique que son fils, Maksym, a été fait prisonnier à Marioupol, il y a des mois. Pour lui aussi, on priera à Taizé dans les temps à venir. Un autre lieu où se vit une solidarité remarquable est le centre animé par Sant’Egidio, dans une des rues principales de la ville, où les volontaires accueillent les réfugiés et leur procurent une aide matérielle et un accompagnement.
Ce séjour à Lviv a aussi permis de belles rencontres avec les jeunes qui étaient à Taizé cet été. Au mois d’août, étaient ainsi venues une quarantaine de jeunes femmes engagées dans diverses organisations solidaires, comme l’organisation de jeunesse BUR « Construisons l’Ukraine ensemble », qui organise des équipes de jeunes qui reconstruisent des maisons détruites par les bombardements, ou encore le réseau de foyers de jeunes « Vilniy Prostir », qui compte plusieurs colocations à Lviv et bientôt dans d’autres villes. Autant de lieux où les liens d’amitié entre Taizé et la jeunesse ukrainienne s’approfondissent au fil des ans.
Cette visite a encore donné l’occasion de rencontrer des responsables d’Églises, comme l’archevêque Dimitriy, de l’Église orthodoxe ukrainienne, avec le prêtre en charge de la pastorale des jeunes. D’autres rencontres ont eu lieu avec la commission des jeunes de la pastorale de l’Église gréco-catholique, ainsi que les pères du monastère orioniste et l’équipe de direction du Collegium de l’université catholique ukrainienne.
Dans ces quelques jours, un des moments les plus forts reste sans doute la visite au cimetière de Lychakiv. Là, depuis des mois, sont inhumés les corps des soldats décédés au front. J’avais souhaité me recueillir sur la tombe du jeune Artemiy Dymyd, dont nous connaissons bien la famille. Alors que nous arrivons, nous voyons un cortège funéraire approcher. Les soldats portent le cercueil, la fanfare joue les hymnes, puis une salve de coups de fusil fait sentir l’odeur de la poudre. Tous ceux qui sont là sont d’une impressionnante dignité. De tels hommages aux disparus, comme ce jour-là pour Evgueny décédé dans la bataille de Lyman, ont lieu tous les jours. Et la question monte comme un cri : combien de morts faudra-t-il encore pour que cesse cette tragédie ?
Kyiv
C’est par le train de nuit que je voyage jusqu’à Kyiv. À la gare centrale, le dispositif de contrôle est important. Après un entretien à la radio catholique nationale, je retrouve trois amis de la communauté, de différentes confessions. C’est émouvant d’entendre le père Andriy Dudchenko, un des prêtres orthodoxes qui viennent régulièrement à Taizé, raconter l’occupation de son village à l’extérieur de la capitale, en mars dernier.
L’après-midi a ensuite été marquée par un long et dense entretien avec l’archevêque majeur de l’Église gréco-catholique, Sa Béatitude Sviatoslav Shevchuk. Il se souvient avec gratitude de la prière avec les chants de Taizé qui avait eu lieu dans la cathédrale en 2015 lors du pèlerinage de 200 jeunes après Pâques, avec frère Alois.
Le soir, une prière était proposée dans l’église du Christ Roi. Certains amis de Taizé à Kyiv n’ont pas pu participer aux rencontres du pèlerinage de confiance depuis plusieurs années, mais ils restent en communion spirituelle. Les pères pallotins accueillaient au même moment une équipe de Caritas Pologne : de nombreuses initiatives de solidarité existent entre les deux pays.
Le lendemain, après une visite au nouveau lieu d’implantation des pères orionistes à Kyiv, j’échange au téléphone avec l’évêque Jan Sobilo, qui poursuit sa mission à Zaporizhia malgré les terribles conséquences de la guerre et des bombardements. Le matin même, des frappes de missiles russes avaient de nouveau frappé sa ville. L’évêque est courageux et il ne baisse pas les bras malgré toutes ces épreuves qu’il vit en première ligne.
Le soir, une rencontre avait été organisée à l’université Mohila de Kyiv avec une partie de l’équipe de la maison d’édition Duh i Litera, dont le directeur, Constantin Sigov, était venu à Taizé au mois d’août. Avec cette maison, plusieurs projets éditoriaux sont en cours de finalisation en lien avec Taizé – comme un modeste signe d’espérance dans les tragédies du moment.
Irpine
Il faut se rendre dans une ville martyre comme Irpine, à l’extérieur de Kyiv, pour voir de ses propres yeux l’ampleur des destructions ayant frappé les maisons et les infrastructures civiles. Sur la route, on reconnaît le pont, vu en avril dans les médias du monde entier, par lequel des habitants fuyaient sur de précaires planches.
Dans la ville d’Irpine, de nombreux logements sont brûlés, entièrement détruits, d’autres sérieusement endommagés. Souvent, on voit de nombreux trous dans les murs ou les palissades que des soldats ont méthodiquement criblés de balles. Si les corps ne gisent plus dans les rues, les traces de la guerre sont durablement inscrites dans la ville.
Dans une des églises de la ville, le prêtre gréco-catholique me montre les éclats des bombes dans les murs, même à l’intérieur. Les icônes n’ont pas été touchées. Le père raconte ses souvenirs de cette période et partage son émotion avec beaucoup de retenue et de délicatesse.
Zhytomir
Après Irpine, c’est à Zhytomir que nous sommes attendus. Je m’étais rendu dans cette ville à deux reprises il y a quelques années, et cette fois l’invitation est venue d’une école chrétienne œcuménique qui accueille environ 200 enfants et dont plusieurs enseignants sont venus à Taizé.
J’étais particulièrement heureux de retrouver Sofia, une des premières ukrainiennes à être venue à Taizé en 1990. En mars, quand beaucoup de familles avec enfants ont quitté la ville pour se réfugier à l’ouest, elle s’est demandé comment se rendre utile, alors elle a commencé à contacter une personne âgée, puis deux, puis d’autres aussi, et à la fin elle a soutenu une trentaine d’anciens en leur téléphonant régulièrement et en leur apportant de la nourriture pour les aider à survivre.
Dans chaque lieu visité, ce qui frappe c’est l’omniprésence de la guerre : alarmes dans la ville, points de contrôle, groupes de soldats, souvent très jeunes, qui se déplacent. Cette humble visite depuis Taizé a permis de rencontrer des personnes, d’écouter leurs récits, et aussi de ressentir de nouveau combien la résilience du peuple ukrainien est impressionnante.