TAIZÉ

Automne 2024

Nouvelles de l’Ukraine

 
Cet automne, quatre frères de Taizé passent six semaines en Ukraine. Vivant dans une petite ville au nord de Kiev, ils vont de ville en ville pour visiter des groupes de jeunes, prier avec eux et participer à la vie quotidienne. Un des frères écrit :
Voici quelques lignes des nouvelles,
qui ne sont pas vraiment des nouvelles…
 
... sauf qu’on s’habitue
chaque jour un peu plus
 
à la guerre,
à ces sirènes qui retentissent subitement la nuit, tôt le matin,
ou lorsqu’on épluche des pommes de terre pour le déjeuner.
 
Aux explosions
(sans savoir s’il s’agit de Russes ou de contre-attaques ukrainiennes).
 
À ce moment où, chaque jour – à 9 heures du matin —
tout s’arrête et le pays observe une minute de silence
en mémoire de ceux et celles qui ont donné leur vie pour la liberté.
 
Aux moments où l’on attend
que la sirène hurle une deuxième fois
pour annoncer la fin de l’alerte anti-aérienne
(et contrairement à la première sirène inattendue, celle-ci est si attendue !),
et la vie peut recommencer,
au moins pour un moment, avec un soupir de soulagement :
« Quelle chance, ce n’était pas notre maison ni notre ville... »
(et une prise de conscience cynique
que c’était la maison et la ville de quelqu’un d’autre).
Et ce faux sentiment de satisfaction de croire que nous faisons attention…
 
Aux conversations autour du thé coréen —
qui aussi ont un goût aussi amer
que le meilleur thé vert que mon maître du thé
m’a offert en geste de solidarité
quand il a appris que j’étais censé partir en Ukraine
(en disant de le boire au lieu de lui avec les gens sur place) …
 
En sirotant lentement de ces petites tasses,
remplies jusqu’au bord,
on se donne le temps de s’ouvrir, de parler...
ou pas.
 
Car ici même le silence parle,
crie,
accuse,
interroge,
pleure,
se souvient et rappelle
la vie arrachée de leurs mains...
Ici, on ne parle de l’avenir qu’avec des phrases suspendues à
après la victoire... після перемоги.
 
Aux dits
(murmurés, criés)
et aux non-dits...
Parce que derrière chaque « tout ira bien (все буде добре) »
se cache un soupir pour le bien-aimé,
qu’il soit au front, porté disparu, blessé ou mort.
 
À cette incroyable et invincible espérance
à cette force de ne pas lâcher,
de ne pas se soumettre à l’agresseur qui ravage leur pays...
Cela me laisse époustouflé à chaque fois
de voir cette flamme dans les yeux des gens
ou dans la collecte pour ZSU (l’armée ukrainienne),
même lors de l’achat d’un livre ou d’une baguette.
Cette envie inébranlable de vivre.
 
Et puis, il y a ce beau du quotidien
(ordinaire et pourtant !) qui se laisse ici apercevoir
en prodiges.
 
Le sourire d’un homme qui promène son chien,
une femme qui plante des fleurs devant sa maison
(il me semble que c’étaient des roses ?),
une vieille dame qui fait balancer sa petite-fille devant son immeuble…
 
Banale pour vous ?
Mais au milieu de cette troisième année de guerre
et sous les ruines visibles et invisibles
ici, ce sont des marques de la Résurrection !
 
Et je me demande de plus en plus
quel est le sens de tout cela :
sommes-nous ici pour simplement y être
- écouter, vivre avec, prier -
ou pour devenir les témoins du vécu de ces gens qui croisent nos chemins ?
Pour nous rappeler que leur vie
est aussi un peu la nôtre ?
Dernière mise à jour : 23 octobre 2024