TAIZÉ

2010 : Philippines

 

« Une soif de vie en plénitude…
un appel à transformer le monde. »

Du mercredi 3 au dimanche 7 février 2010, a eu lieu à Manille la 5ème rencontre
asiatique de jeunes, étape du "pèlerinage de confiance sur la terre" animé
par la communauté de Taizé.

Le plus grand nombre de jeunes venaient des diverses régions des
Philippines. Avec la participation de nombreuses familles d’accueil, la
rencontre a réuni 6000 personnes, dont 500 jeunes d’autres pays d’Asie et
200 d’Europe et d’Amérique, de différentes confessions.

Les participants, âgés de 16 à 35 ans, ont été reçus dans les 77 centres
d’accueil des paroisses. Des paroisses catholiques et quelques paroisses non
catholiques ont été partie prenante de cet accueil. De là, les jeunes ont
été dans les familles où ils ont été logés pendant toute la rencontre.

Trois prières par jour et des rencontres en petits groupes avec des thèmes
basés sur la « Lettre de Chine » écrite par frère Alois ont été les éléments
essentiels du programme. Chaque soir, Frère Alois a donné une méditation
pendant la prière.

Dimanche 7 février à 10 heures, le cardinal G. Rosales, Archevêque de
Manille, a présidé la célébration eucharistique.
La rencontre aux Philippines a été préparée en étroite collaboration avec la
ECY-NSYA, Commission épiscopale pour les jeunes – Secrétariat national pour
l’apostolat de la jeunesse.

Catherine est anglaise, étudiante en médecine. Actuellement, elle fait un
stage à Manille avec le Département de l’O.M.S. pour la survie de l’enfant.
Pendant la rencontre de Manille, elle a envoyé chaque jour des nouvelles des
événements de la journée.

La rencontre au jour le jour

mardi 2 février

Frère Roger a visité la « Smokey Mountain » en 1991, la montagne des déchets de Manille, fumant dans la chaleur d’un dimanche matin. Une montagne si haute et si étendue que, du haut on peut voir à travers les grues du port au-delà jusqu’à l’horizon bleu de la baie de Manille. Et au pied de cette montagne, une petite église en bois est remplie d’enfants et de jeunes qui chantent ensemble « Sapagmamahal », « Naroroon Diyos ang ». Là où est l’amour, Dieu est là. Puis c’est le silence. Et quel silence ! Rompu seulement par les coqs qui chantent et le bruit du trafic au loin. Les jeunes de l’équipe de préparation de Taizé sont accueillis ici avec tant de joie et de générosité. Et plus tard dans la semaine, des pèlerins d’autres régions des Philippines et même au-delà seront aussi accueillis dans cette paroisse du Christ Ressuscité, à Smokey Mountain. Oui, il y a certainement de l’amour ici. Sapagmamahal, Naroroon ang Diyos.

Plus au sud, bercée dans l’agitation de la ville de Manille, notre petite salle de préparation au Don Bosco Technical Institute semble rétrécir à mesure que l’équipe des frères, des sœurs et des bénévoles augmente chaque jour. Il y a de l’énergie dans l’air ; des personnes vont et viennent, préparent, chantent, partagent. On peint des panneaux dans les belles calligraphies anciennes de nombreux pays d’Asie pour accueillir tout le monde.

Selamat datang ! स्वागत ! Mabuhay ! 환영 ! 欢迎 ! Bienvenue !

Des enfants jouent au basket dans des espaces ici ou là entre les bâtiments. Un de ces terrains de basket, qui sera notre vaste espace de prière, est décoré de trois sortes de bambou des Philippines, dressés comme des tuyaux d’orgue, verts d’une nouvelle vie. Ici, aux Philippines, le bambou est un symbole d’unité – comment une tige peut-elle se dresser toute seule ?

Ce week-end, c’était la fête de Don Bosco, et tout le site ici était palpitant de vie, de musique et de fête. Nous nous souvenons que la rencontre de Kolkata en 2006 a aussi eu lieu dans une école de Don Bosco, dont l’engagement était d’avancer aux côtés des jeunes. Peut-être est-ce pour cela aussi que nous sommes ici ? Nous nous réjouissons alors de mercredi, où beaucoup plus vont venir se joindre à nous dans cette aventure du Pèlerinage de confiance sur la Terre.

mercredi 3 février

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Aujourd’hui, nous accueillons et nous sommes accueillis. Et avec quelle joie ! Des groupes de jeunes sont assis ensemble, des visages de toute l’Asie et au-delà ; ils se reposent après de longs voyages. Les jeunes Philippins qui nous offrent leur ville, prennent toutes les occasions pour saluer, échanger, guider, souhaiter la bienvenue. Notre lieu de rencontre est un paisible havre de verdure au milieu des tours et des constructions de la ville. Les manguiers et les bougainvillées offrent leur ombre rafraîchissante à ceux qui sont fatigués de leur voyage.

Certains ont voyagé de si loin. Nous avons accueilli des groupes de tous les coins de l’Asie, du Vietnam, du Bangladesh, du Japon, d’Indonésie, du Timor oriental. Et d’autres continents aussi, Lituanie, Canada, Kenya. D’autres encore sont venus des nombreuses îles des Philippines, de Luzon et de l’archipel des Visayas. La traversée même de Manille a pris de nombreuses heures pour quelques-uns. Nous sommes particulièrement heureux d’accueillir des groupes du sud de l’île de Mindanao, des amis musulmans et chrétiens venus ensemble.

De nombreux pèlerins d’autres pays sont revenus à Manille aujourd’hui après un séjour de « pré-rencontre » dans d’autres parties du pays. L’une d’entre eux, de Suède, a parlé avec chaleur de son séjour dans une communauté agricole de l’île de Negros. Elle avait été accueillie si naturellement que très vite, elle participait à la récolte de la canne à sucre et des bananes.

Dans la lumière dorée de la fin l’après-midi, les sons de la répétition de chants résonnent tout autour de notre espace de prière décoré maintenant de nombreuses grandes icônes imprimées. Nous sentons l’odeur du pain cuit pour demain dans une petite boulangerie gérée par des jeunes venus à Manille pour travailler. Des jeux improvisés ont lieu sur le terrain de football à côté. Nous nous rassemblons pour un repas simple de poulet et de riz, puis c’est la prière. Un jeune volontaire de Hongkong : « Nous avons attendu ce moment pendant si longtemps, et aujourd’hui a été si épuisant, mais ensuite, quand j’étais assis pour prier ce soir, je regardais tous ces gens assis avec moi et alors, j’ai saisi : aujourd’hui a été une si belle journée ! »

Jeudi 4 février

Les prières sont le cœur de la rencontre, un cœur qui donne le rythme de la journée, comme récemment à Poznan, et la semaine prochaine à Porto, et comme c’est le cas chaque jour dans de nombreux foyers à travers le monde. La première prière a lieu dans nos communautés locales, les 77 centres d’accueil des paroisses qui ont ouvert leurs portes aux pèlerins. Puis, de partout dans cette vaste cité aux multiples facettes, nous convergeons vers le lieu central, conduits par des équipes de bénévoles qui apparaissent soudain et nous guident du train à l’autobus, de jeepney en jeepney (taxis collectifs). Les cloches de la colline en France nous amènent à notre espace de prière, « le dôme », où des bandes de tissu se déploient sous une brise rafraîchissante. Nous chantons « O halina, halina, Diyos Espiritu Santo » accompagnés par les guitares, flûtes et violons. « O viens, viens, Esprit Saint ! » Et des rafales de vent nous environnent !

Les chants semblent parler d’une soif intérieure : « Diyos ang bukal ng buhay », « Seigneur, tu es l’eau vive » ; « Kaluluwawa ko’y nauuhaw sa Yo », « mon âme soupire après toi dans la nuit. » Puis vient la mélodie ondoyante d’un chant philippin, une réponse peut-être : « Ang Panginoon ang aking pastol, pinagiginhawa akong lubos », « Le Seigneur est mon berger, vers les eaux du repos il me mène. »

Nous réfléchissons aujourd’hui sur les rencontres de Jésus avec deux femmes – la Samaritaine au puits et Marie-Madeleine au tombeau vide. Après la prière de midi, frère Alois médite : « Marie-Madeleine est, elle aussi, habitée par cette soif qui est présente dans tout cœur humain… cette soif n’est-elle pas une marque gravée par Dieu en nous pour que nous puissions nous tourner vers lui ? »

Ici, aux Philippines, la religion est visible partout – peinte sur les bus, et les décorations de Noël ornent encore beaucoup de rues. Mais, plutôt que des vestiges, ce sont peut-être aussi des signes d’une foi plus profonde, d’un désir, d’une soif, qui est si centrale dans la vie de beaucoup ici. Nous nous rappelons que frère Roger « avait admiré les dons des jeunes Philippins, il leur avait dit combien il appréciait chez eux la confiance du cœur, la confiance dans le Dieu vivant. » Cet après-midi, nous sommes invités à partager en petits groupes. Une jeune fille de Mindanao nous dit : « En 2008, nous avons vu la violence tout près de chez nous, de nombreuses maisons ont été brûlées et des gens tués. Alors, nous avons soif de paix, et nous avons décidé d’être des artisans de paix dans notre école et dans notre communauté. Il faut beaucoup de courage, et parfois nous désespérons, mais nous continuons à nous accrocher à l’espérance. »

Nous avons tant à apprendre les uns des autres.

Vendredi 5 février

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Peut-être plus que sur d’autres continents, en Asie, on vit côte à côte avec des personnes de différentes traditions religieuses et cette expérience commune donne une richesse et une sagesse. Cet après-midi, nous sommes invités à des carrefours pour être nourris de cette sagesse et la partager.

Dans un carrefour, des jeunes musulmans et chrétiens de Mindanao partagent leurs expériences sur la manière de dialoguer entre personnes de croyances différentes pour ouvrir une route vers la paix. Dans un autre, des jeunes dépendants parlent d’une communauté agricole où ils sont accueillis. D’autres écoutent les récits de jeunes adultes qui travaillent avec les réfugiés et les très pauvres. Beaucoup aspirent à se rapprocher d’autres êtres humains, à ouvrir leur vie à « l’autre ».

Un autre groupe réfléchit sur l’Esprit Saint, comment il est donné à tous les peuples, à toutes les classes, les tribus, les îles, les religions. Assis avec nos snacks, « la merienda », dans la chaleur du soleil de l’après-midi, nous parlons de nos peurs. Nous venons du Pakistan, de la République démocratique du Congo, de nombreuses îles des Philippines. Une jeune femme du Vietnam parle « d’être en contact avec nos désirs les plus profonds, notre liberté intérieure pour nous mettre en mouvement avec l’Esprit Saint. » Nous partageons déjà tant de choses !

Nous sommes amenés à partager davantage ici à cause de l’accueil profond et généreux que nous recevons des familles qui, avec confiance, ont ouvert leurs maisons. Un pèlerin suisse parle d’un moment de prière, tard le soir, quand ils chantaient ensemble sur le toit de la maison. Nous sommes accueillis par-delà toutes les lignes de partage sans aucune question. Une jeune fille allemande porte un collier donné par un nouvel ami philippin, une volontaire des Philippines emporte avec elle un pot de pâte de piment rouge apporté par un visiteur coréen.

Dans les églises des Philippines, on se tient par la main pour chanter « Ama Namin », Notre Père. Chaque soir de cette semaine, nous sommes invités à prier ensemble autour de la croix, pour y déposer peut-être nos fardeaux, et ceux du monde. On entend des prières dans les différentes langues du continent asiatique. L’église est éclairée par des flambeaux, la croix est soutenue par des structures de bambou, une fois encore un symbole d’unité. Comme frère Alois le disait au début : « C’est Dieu qui nous unit. »

En parlant de sa vie à la maison, un jeune garçon de l’île de Mindanao explique : « Nous vivons comme deux cultures séparées. Nous devons construire des ponts, tout simplement parce qu’il est si difficile de vivre dans la division. » Nous réfléchissons à l’Esprit comme à un pont sur lequel on peut marcher jusqu’à l’autre côté. Une femme de l’Équateur raconte qu’elle a vu aujourd’hui un homme qui vendait du poisson qu’il avait pêché dans la rivière, et elle a réalisé que nos cultures ont beaucoup en commun, que de nombreux ponts existent déjà.

Samedi 6 février

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« Beaucoup d’entre vous savent ce que signifie la simplicité » dit frère Alois, « la simplicité ouvre notre cœur au partage et à la solidarité avec autrui. Nous voyons ici à Manille tant de gens qui prennent des initiatives de partage et sont engagés aux côtés des pauvres. »

Nous sommes appelés à transformer le monde. Et cette semaine, nous avons entrevu tant de vies solidaires qui agissent sans bruit. Plusieurs groupes de paroisse ont invité des « témoins d’espérance » à partager un peu de leur vie. Un garçon raconte comment sa communauté locale a rassemblé suffisamment d’argent pour lui payer ses cours en vendant des guirlandes de fleurs « Sampaguita » devant l’église pendant de nombreuses années. Nous entendons les récits de personnes qui vécu les inondations de l’an dernier ici, à Manille. Un jeune qui vit avec une communauté touchée par un typhon nous dit : « Je n’ai rien à donner, mais je peux leur prêter ma voix. »

Nous avons écouté le message envoyé à Taizé par Richard de Haïti, un ami de la communauté : « La nuit, la vie, la mort, je ne vois pas de différence… » Cette semaine, en petits groupes, nous avons été amenés à nous poser des questions au sujet de cette souffrance. Peut-être ne pouvons-nous que rester silencieux. Et pourtant beaucoup disent qu’au milieu des difficultés, nous pouvons voir des gestes et des vies qui témoignent d’une espérance plus profonde, de miséricorde.

Cet après-midi, nous nous réunissons avec ceux de notre région pour réfléchir ensemble aux prochaines étapes de notre pèlerinage et pour entendre parler des initiatives déjà prises là où nous vivons. Une femme du Portugal dit : « Ici, dans un endroit si différent, il est très facile de voir Dieu dans les petits gestes de la vie quotidienne, très facile de partager la joie du partage. Maintenant, nous devons intégrer tout cela dans notre propre vie quotidienne en rentrant chez nous. » Les gens qui vivent ici à Manille parlent aussi de renouveler sa façon de regarder le monde. Une grande partie du monde est représentée ici, plus de cinquante pays. Et tant de richesses sont partagées avec nous cet après-midi, des groupes offrent des chants, des danses et de la musique de chez eux. Quelles couleurs, quelle vie, et quelle joie est donnée et reçue !

Cette semaine, nous prions, « Saint-Esprit, dans nos vies tu actives un désir de paix et de justice… Tu as placé des dons dans nos cœurs pour faire de nous des créateurs de communion. » Ce matin, les jeunes de Smokey Mountain ont eu leur prière au sommet de la colline de déchets, accompagnés par ceux qui sont logés là. Et ce soir, lors de la prière finale, des jeunes de Manille ont improvisé un petit chœur qui se met doucement à chanter en tagalog ; ils accompagnent et soutiennent ceux qui prient autour de la croix. De simples pensées se transforment en actes de solidarité généreuse, d’espérance profonde, de miséricorde.

Dimanche 7 février

Aujourd’hui, cette étape de notre pèlerinage touche à sa fin et nous nous préparons pour l’étape suivante, nourris par ce que nous avons partagé.

Nous ne partons pas avec des réponses. Nous avons entendu parler cette semaine d’un pasteur protestant de 80 ans que les frères ont rencontré en Chine. Il a passé 27 ans dans un camp de travail. « Ce que m’a gardé en vie », leur a-t-il dit, « c’était les paroles d’Isaïe où Dieu dit : Mes voies ne sont pas vos voies. »

C’est vrai, nous ne repartons pas avec des réponses. Mais le temps passé ensemble ici laissera beaucoup d’échos, non de vide, mais retentissants, des lueurs vivantes d’espérance, un goût de ce que pourrait signifier vivre simplement et franchement en communauté. Une femme originaire des Philippines parle d’une soif de communauté, « toujours ouverte à d’autres, sans jamais dominer. » Une autre, de Lituanie, dit : « Je rentre chez moi avec la conviction que nous sommes les nombreuses parties d’un même corps. »

Une fois de plus, nous nous souvenons de ce corps unique quand le pain et le vin de l’Eucharistie de ce matin sont portés à l’autel avec un grand panier débordant de fruits. Des jeunes du Timor oriental, de Chine, du Japon, de l’Inde et des Philippines portent ces dons, revêtus de leur costume traditionnel aux couleurs magnifiques et généreuses, tels les nombreux membres d’une même famille humaine. Au-dessus de nous, des oiseaux planent en cercles dans l’éclat du soleil, et nous nous offrons les uns aux autres un signe de paix. « La paix soit avec vous ! »

Le Cardinal Rosales, l’archevêque catholique de Manille, termine sa méditation par ces mots : « Duc in altum – avancez en profondeur. » Oui, nous avançons en profondeur. Nous sommes portés par l’Esprit. Nous sommes appelés à transformer le monde, appelés à créer, par notre soif, des sources de paix, de partage, de miséricorde.

Dernière mise à jour : 14 février 2010